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Thé vert et mots d'esprit

Thé vert et mots d'esprit
  • Non, Gingembre Confit n'est pas un blog culinaire. Gingembre Confit c'est mon projet de réunir un ensemble de textes inédits qui formeront un livre. Gingembre Confit, c'est ma passion pour les mots, le créatif, l'intrigue. Un imaginaire à découvir...
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Thé vert et mots d'esprit
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11 octobre 2009

"Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage" Périclès

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AUX LUEURS DE TOKYO

PARTIE X (FIN)

***Paris. C'est sur la piste d'un aéroport, portant le nom d'un illustre général, qu'un avion en provenance du Japon vient de se poser. Déjà, le terminal est plein de monde et tout autour résonnent les mots d'adieu, les retrouvailles que viennent parfois couvrir les annonces, jetées à la foule par une voix claire et détachée. Tout ici est agencé autour de ce discours informe fait de bruissements, de discours en aparté, où l'on ne prête attention à personne si ce n'est à soi-même. Mais aujourd'hui, une ombre fluide et discrète se faufile avec légèreté parmi la masse en mouvement et attire bien malgré elle tous les regards. Le visage incliné avec grâce, dans une beauté humble, elle passe devant un capitaine et son équipage qui, étonnés par une telle apparition, et pour mieux la voir, s'arrêtent et se tournent vers l'inconnue qui s'enfuit déjà, entraînant derrière elle ses bagages. On ne sait si c'est l'incroyable finesse de ses traits ou bien la richesse de son habit qui éveillent la curiosité. Le vêtement arbore les pêchers naissants du printemps dont les fleurs viennent courir sur les manches, chargés de fruits à la peau velours et au teint saumon. Les arbres, juchés sur des montagnes brumeuses et enneigées, épanchent leurs pétales au dessus d'un torrent gelé, pris dans la brume, qui jailli entre les rochers et révèle soudain l'envol furtif d'un couple de hérons.

***Imperméable face aux regards qui la dévisagent, la jeune femme s'est arrêtée devant une boîte postale et sort de la manche de son kimono une lettre soigneusement pliée dans son enveloppe. Un sourire radieux vient illuminer son visage et efface un instant tout soupçon de gravité lorsqu'elle ouvre son stylo pour y écrire l'adresse. On peut lire, en caractères japonais, tracés avec applications, un nom doux et familier: Inori.

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11 octobre 2009

"Les grandes douleurs sont muettes, les petites colères sont une source incomparable de solidarité" Jean Dion

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AUX LUEURS DE TOKYO

PARTIE IX


***La porte coulissante s'est ouverte d'un coup, sans prévenir. Plongée dans un état de léthargie, Miyuki n'a même pas réagi. La porte se referme plus doucement, en silence. La nouvelle présence hésite un instant.

***─ Etsuko?

***La voix est douce, sans animosité. La jeune fille qui vient de pénétrer dans la pièce fait partie de la maison. Elle se nomme Inori et n'est guère plus âgée que Miyuki. De petite taille, très menue, elle a le visage rond et bienveillant. Aussitôt entrée dans la pièce, elle distingue cette  forme chétive, recroquevillée dans l'ombre, au fond du mur.

***─ Etsuko, est-ce que ça va? Demande-t-elle. J'ai entendu des cris, je n'osais pas entrer.

***Ses yeux se posent alors sur la silhouette allongée au sol, inerte, sa poitrine esquisse un léger sursaut.

***─ Mon Dieu... murmure-t-elle.

***Mais elle s'abstient de tout autre commentaire. Son regard va et vient du corps d'Ichiro à celui, tremblant, de Miyuki, en passant par les ciseaux, rouges et luisants près du cadavre. Elle ne met pas longtemps à comprendre. En silence, elle va chercher un drap propre dans la grande armoire puis, après s'être assurée qu'Ichiro ne respirait plus, elle en recouvre sobrement son corps. Miyuki ne dit mot, la regarde faire de loin. Tandis qu'Inori s'affaire, elle glisse une cigarette entre ses lèvres, sans parvenir à l'allumer tant elle tremble. Celle-ci finit par tomber, Miyuki craque, les larmes coulent sans qu'elle ne puisse les arrêter.

***Inori s'est approchée, ramasse la cigarette et la coince à nouveau entre les lèvres de la jeune fille, tout en la maintenant entre deux doigts, avant de l'allumer. Patiemment, elle la fait fumer, Miyuki n'a plus qu'à faire l'effort d'inspirer. Peu à peu, elle s'apaise, ses tremblements s'atténuent progressivement. Face à face, les deux jeunes filles ne parlent pas. Déjà, la première finit de se consumer, et Miyuki s'en allume une seconde, qu'elle fume plus lentement. Inori l'observe du coin de l'œil, et attend sagement qu'elle ait fini. Lorsqu'elle se saisit à nouveau du paquet, elle lui prend gentiment la main, et le retire en douceur, lui faisant comprendre qu'elle a assez fumé pour l'instant. Miyuki n'a pas bronché.

***─ Et si tu me racontais ce qui s'est passé...

***Hésitante, Miyuki bafouille. Inori écoute, sans l'interrompre, la rassure, la berce en lui tenant la main. Elle raconte la boîte, les rêves qu'elle contenait, Ichiro... sa dernière visite, son présent, la dispute... le cauchemar. Lorsque la voix de Miyuki se tait, Inori laisse passer un nouvel instant sans paroles. Le front plissé, les sourcils froncés, elle semble réfléchir, hésiter. Puis subitement, elle se lève, l'air décidé.

***─ Attends-moi ici, je reviens tout de suite.

***Lorsqu'elle la voit quitter la pièce et refermer la porte derrière elle, le cœur de Miyuki s'accélère. Peut-être parce qu'à force d'expérience, elle a l'habitude de se méfier de chacun, qu'elle craint que la jeune fille ne revienne pas seule, prévienne la maison, et l'expédie aux portes de l'enfer. Peut-être aussi parce que, la peur au ventre, elle ne supporte pas de rester seule avec ce corps, masqué par un drap qui lui rappelle d'avantage son crime qu'il ne la rassure.

***Mais le retour d'Inori, seule, dans la petite chambre à tôt fait de dissiper ses doutes. Elle tient quelque chose dans sa main. Lorsqu'elle s'approche à nouveau de Miyuki, celle-ci distingue alors l'objet qu'elle a rapporté avec elle, une pochette de soie rouge, fermée par un cordon doré, enroulé tout autour, qu'elle s'empresse de défiler avant de l'ouvrir. C'est avec surprise que Miyuki la regarde sortir une importante liasse de billets.

***─ Combien il te manque?

***─ Inori...

***─ Pour partir, combien il te manque?

***─ Inori, je ne peux pas...

***─ Alors dis-moi. Dis-moi ce que tu peux faire d'autre...

***Miyuki s'est tue, sa tête saturée de pensées, les lèvres vides de mots.

***─ Estime-toi heureuse, tu vas enfin quitter cet endroit. Ton départ est juste avancé... Ne t'inquiète pas pour l'argent, je n'en ai pas besoin tout de suite, de toute façon. Et si tu as encore des scrupules, rappelle-toi que ce n'est qu'un prêt, tu me rembourseras lorsque tu pourras.

***Les yeux de Miyuki s'embuent de larmes. Elle sait pertinemment qu'en fuyant Tokyo, elle ne reverra probablement jamais Inori. Elle sait aussi qu'Inori en a elle-même conscience et ne la conforte que dans le but de lui donner bonne conscience.

***─ Maintenant, fais tes bagages, je m'occupe de tout ici.

***Mais alors qu'Inori s'apprête à sortir de nouveau de la pièce, Miyuki la retient par le bras et la serre contre elle. De son index, et en silence, elle trace dans son dos deux simples mots: Merci... Adieu.

***Emues l'une comme l'autre, elles ne desserrent pas leur étreinte avant un moment. Inori, toujours discrète au sein de la maison, sait qu'elle voit partir une amie, qu'en lui apportant son aide, elle se réserve des jours difficiles. Mais en son for intérieur, son humble héroïsme, ce moment de gloire anonyme compensera largement les mauvais moments à venir.

***─ Prends soin de toi, Miyuki, lui murmure-t-elle. Prouve-moi que je n'ai pas fait tout ça pour rien...

***Et sur ces derniers mots, elle s'éclipse. Shinjuku, silencieuse au petit matin, éteint un à un ses néons criards, étouffe de ses murs les derniers cris, lave ses rues des plaisirs et des pensées coupables. Restée seule dans la chambre, Miyuki contemple par le balcon les derniers morceaux de limbes lever le voile sur un jour neuf, à la fraîcheur vierge des nouveaux-nés.

 

11 octobre 2009

"Ce que nous prenons pour de la cruauté chez l'homme n'est presque toujours que de la lâcheté" Marcelle Auclair

Avatar_by_zemotionAUX LUEURS DE TOKYO
PARTIE VIII


***L'animosité d'Ichiro s'est soudain volatilisée, comme déstabilisé par l'émotion de la jeune fille.

***Miyuki, avance-t-il, maladroit, pardonne-moi. C'est juste que...

***Mais le reste vient se perdre au fond de sa gorge. Miyuki lui tourne obstinément le dos et fait fi de sa présence. Dans la pénombre, elle a fermé les yeux et se mord les lèvres pour arrêter de pleurer, ce qu'Ichiro devine par les faibles hoquets que trahissent sa respiration de temps à autre. Car il désirait tout sauf la blesser. Ou peut-être pas autant. Et sa maladresse, son incapacité à formuler ses pensées vraies le frustrent d'avantage et lui font serrer les poings.

***Dans un élan incontrôlé, il se précipite sur elle, et sans un mot, la serre dans ses bras, tient sa tête tout contre son torse. Miyuki n'a pas réagi, trop surprise par le geste de son compagnon. Dans le silence qui s'est installé, où elle peut sentir la force avec laquelle il la tient contre elle, elle n'ose plus bouger.

***─ Reste près de moi, murmure-t-il. Ne t'enfuis pas. Je m'occuperais de tout... je te rendrais heureuse.

***La jeune fille tressaille, son cœur bat un peu plus fort. Elle aimerait ajouter ne serait-ce qu'un peu de crédibilité dans ces paroles qui sonnent comme tant d'autres avant elles. Mais le premier tiroir de la commode, tapis dans l'ombre, lui rappelle la fragilité, l'agonie précipitée de ces mots, trop doux pour durer. Ichiro s'est laissé glissé le long de son corps, semble suivre le chemin de ses courbes, arrête son visage à la naissance de sa poitrine. Elle observe cette tête frêle, frivole, blottie contre son sein, cette bouche qui n'ose plus rien embrasser. Miyuki se ressaisit, tente un mouvement pour se dégager. Le jeune homme s'accroche désespérément à la fuite de la soie. Face à son silence prolongé, il resserre son étreinte, se met à trembler.

***─ Ichiro... Lâche-moi, tu me fais mal!

 ***Mais la pression se fait encore plus forte. Miyuki se débat, et au prix d'incroyables efforts, parvient à lui faire lâcher prise. Ce dernier semble comme transcendé, ses yeux sont plus noirs que jamais, son expression, terrifiante. A nouveau, il se jette sur elle, mais cette fois-ci, couvre son corps de coups incessants.

***Si tu n'es pas à moi, tu ne seras à personne, hurle-t-il. C'est moi qui t'ai trouvée, moi qui t'ai sortie de la rue, moi qui t'ai protégée!! Tu n'appartiens qu'à moi, à moi seul!!

***La jeune fille protége son corps et son visage de ses bras. Elle étouffe ses cris, mord ses lèvres sous la douleur, geint en silence pour ne pas ameuter toute la maison. Mais Ichiro se fait de plus en plus violent, ses poings abîment, brisent, détruisent tout ce qu'il aime, comme poussés par le désir d'effacer ce qui lui échappe. Miyuki se débat, mord, griffe comme elle peut. Les coups pleuvent et ne s'arrêtent pas. Dans un élan de panique, elle se saisit des ciseaux, restés au bas de la couche, et alors que le jeune homme baisse à nouveau son bras, les lui plante dans la gorge.

***Au moment-même où les lames rencontrent la chair, les deux se figent, s'observent l'un l'autre dans leur stupéfaction mutuelle. A cet instant, les yeux révèlent tout ce qui jusqu'alors a été tue. Puis Ichiro s'écroule au sol, en geignant. Horrifiée, Miyuki se précipite vers lui. Les ciseaux ont quitté la plaie, mais la blessure est profonde et le sang s'écoule sans vouloir s'arrêter.

***─ Mi... Miyuki, gémit-il.

***Miyuki ne répond pas. Elle arrache précipitamment les draps du lit, les roule en boule, applique le tissu sur la plaie tout en imposant une légère pression avec ses mains pour arrêter le flux de sang. Ni l'un ni l'autre ne parle. Concentrée, Miyuki ne pense plus à son geste et à ses conséquences, se focalisant uniquement sur la blessure, oubliant même jusqu'à la faible respiration de son compagnon, unique bruissement qui vient rythmer le silence. Mais déjà, la panique la submerge. Sous ses mains, les draps blancs rougissent à vue d'œil, sans réussir à endiguer la plaie.

***─ Ichiro, s'affole-t-elle, le sang ne coagule pas, c'est trop profond.

***Mais elle ne reçoit aucun échos. Dans le silence de la pièce, la respiration s'est tue. Lentement, elle soulève le linge imbibé de sang, ses traits figés, appréhendant à demi ce qu'elle va découvrir. Ichiro ne bouge plus, le visage crispé, les yeux grands ouverts, noyés de larmes, un pâle sourire accroché à ses lèvres livides. De sa main droite, il a agrippé un pan de son kimono, comme l'enfant, assailli par la peur, s'accrocherait aux jupons de sa mère. Miyuki ferme les yeux, les rouvre, se met à trembler. Elle a laissé tomber le linge à côté d'elle. En douceur, elle se dégage de l'étreinte du jeune homme avant de céder à la panique la plus totale.

***─ Merde, Merde!! pleure-t-elle, amère.

***Là voilà seule, avec un cadavre sur les bras. Tout s'effondre, tout s'écroule. Adieu la liberté, l'envol, c'est la prison qui l'attend, le scandale, le procès. En rampant, elle se blottit dans un coin de la pièce et, ramenant ses genoux contre sa poitrine, enfouit son visage dans ses mains.

***─ Tout est foutu, répète-t-elle d'une voix éteinte en secouant la tête, tout est foutu.

***Et ses tremblements, loin de s'arrêter, vont croissant.


11 octobre 2009

"La jalousie aveugle un coeur atteint, et, sans examiner, croit tout ce qu'elle craint" Corneille

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AUX LUEURS DE TOKYO

PARTIE VII


***Son moment d'émoi passé, Miyuki reprend vite contenance, non sans avoir effleuré le paysage brodé à la main, avant de refermer le paquet.

***Et quelle est l'utilité de tout ça? Demande-t-elle, acide.

***Je pensais que ça te ferait plaisir.

***Une pute donne du plaisir, elle n'en reçoit pas, et n'a pas besoin d'emballage. Qu'il s'agisse d'un kimono ou d'un tailleur bien ajusté, peu importe. On paye pour le contenu.

***Ichiro se met à rire. S'il est blessé par ses paroles, il n'en montre rien.

***Je ne te savais pas aussi près des conventions, raille-t-il. Par ailleurs, tu semble oublier que lorsqu'on vent un produit, l'apparence extérieure est la première chose qui attire l'œil.

***Ça ne me dit toujours pas pourquoi tu continues à acheter toutes ces futilités...

***Et tout en disant ces mots, elle se lève, le kimono dans les bras, et vient le déposer dans l'armoire coulissante, tout en bas, où, si l'on regarde de plus près, se trouvent plusieurs paquets à l'emballage similaire.

***Tu... tu ne l'essaye pas? Demande Ichiro, quelque peu décontenancé.

***Le jour s'est levé, tu n'as peut-être rien à faire, moi, si, répond sèchement celle-ci.

***Assise sur la couche, dos tourné au jeune homme, elle s'applique à peigner ses longs cheveux noirs de jais, ramenés par côté, au-dessus de son épaule droite. Voyant qu'il n'est pas décidé à bouger, elle lâche sur son habituel ton froid.

***Tu pense partir quand, exactement?

***Pas de réponse. Miyuki sent juste son poids se déplacer sur la couche, puis revenir à sa place initiale. Loin de s'atténuer, la tension se ravive, attisée par le seul feu doux-amer d'un cœur blessé. Un lourd silence s'installe à nouveau dans la petite pièce. C'est d'une voix presque éteinte qu'Ichiro le brise.

***C'est plutôt moi qui devrait te poser cette question... Toute cette froideur, tous ces mots blessants... si tu crois que je ne sais pas pourquoi tu fais tout ça.

***Exaspérée, Miyuki se tourne vers son interlocuteur, mais brusquement se fige. Dans ses mains, il tient la boîte en fer qu'elle avait caché sous la couche. Aussitôt, son cœur s'emballe, ses lèvres se mettent à trembler tandis que ses pupilles se mouillent d'inquiétude.

***─ Depuis quelques mois, les comptes que tu me rends sont de plus en plus irréguliers. Tu croyais pouvoir me cacher encore longtemps ta petite magouille? C'est vraiment me prendre pour le roi des imbéciles!!

***C'en est trop. Miyuki perd ses moyens. Sa fierté, sa froideur... Tout s'effondre. Le rapport de force a changé et elle le sait. Du regard, elle implore le jeune homme, mais celui-ci a fait sauter le couvercle et continue sur sa lancée.

***Alors, c'est pourquoi, cet argent? Tu n'es pas du genre capricieuse, ni très coquette. Attends... Laisse-moi deviner. Une pauvre princesse qui à force de côtoyer les filles des rues est devenue une des leurs, mais qui lassée par ce mode de vie qui empoisonne sa délicatesse et sa fragilité, a décidé de fuir le royaume des catins pour toujours. Je me trompe?

***La jeune fille ne répond pas. Mais son mutisme le fait à sa place.

***Touchant... Tant d'espoirs misés sur un rêve d'enfant. Mais tu n'as pas besoin de moi pour savoir que la réalité est toute autre...

***Arrête!! Arrête...

***Elle a presque crié le premier mot. A nouveau, Miyuki lui tourne le dos, mais c'est plus pour lui cacher les larmes qui se sont mises à couler naturellement.

***Ça suffit... dans l'affaire, c'est moi qui passe pour une idiote. Mais tu ne peux pas me blâmer pour ça. Qui n'a jamais rêvé de s'en sortir? Qui n'a jamais voulu quitter ce monde de merde!!! J'en suis malade, jour après jour, jusqu'aux tripes... Évidemment, tu ne peux pas comprendre. Toi, tu ne vois que le côté plaisant de la chose, ton plaisir égoïste. Mais tu ne regarde jamais plus loin...

11 octobre 2009

"L'amour se passe de cadeaux, mais pas de présence" Felix Leclerc

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AUX LUEURS DE TOKYO

PARTIE VI

***C'est finalement Miyuki qui, s'avançant vers la commode, brise le malaise, tandis qu'elle ouvre le premier tiroir et y prélève deux grandes aiguilles qu'elle plante dans ses cheveux après avoir improvisé un chignon.

***Qu'est-ce que tu compte faire, maintenant? Lance-t-elle d'un ton désinvolte. Je veux dire... tu compte rester longtemps?

***Quelle froideur! Constate Ichiro en faisant la moue. Moi qui t'avais apporté un cadeau...

***Sa phrase, laissée en suspens n'a pas l'effet qu'il avait espéré. Miyuki vaque à ses occupations, arpentant la pièce de long en large tout en ramassant les quelques affaires éparpillées pour mettre un peu d'ordre.

***Ah oui? Lance-t-elle sur un ton désinvolte. Et qu'est-ce que c'est, cette fois?

***Ouvre-le, tu verras bien...

***Et tout en disant ces mots, il s'est saisi d'un sac qu'il avait laissé en retrait, à son arrivée, près de la porte. Il en sort un paquet mou, enveloppé dans du papier craft et resserré par une ficelle rêche et grossière qu'il tend à la jeune femme. Miyuki s'est arrêtée et porte enfin attention au présent qu'il lui tend. Sans un mot, le visage inexpressif, elle s'approche, saisit le paquet et va le déposer sur le lit. Agenouillée face à la couche, son expression paraît à présent concentrée. Doucement, ses mains passent sous la ficelle et viennent rencontrer la surface du papier. Papier glacé, se dit-elle alors que ses doigts continuent leurs caresses sur le velouté blanc.

***Tu ne l'ouvres pas?

***Miyuki ne répond pas. Lentement, elle se lève et amène ses pas vers l'habituelle commode, mais cette fois-ci, elle ouvre le deuxième tiroir et en sort une longue paire de ciseaux qui lui servaient d'habitude à ajuster ses tenues en coupant l'excédent de fil ou de tissu. Le tiroir refermé, Miyuki revient s'agenouiller devant le mystérieux paquet. Sans empressement, elle entrouvre ses ciseaux et applique une pression sur la ficelle tout en faisant glisser la lame pour faire sauter la résistance. Puis ses doigts viennent se faufiler dans l'interstice du papier pour dégrafer les quelques bouts d'adhésifs qui maintiennent en forme le paquet. Chacun de ses gestes est précis, appliqué, patient.

***Sous la première couche, une autre enveloppe, un papier plus fin, plus fragile, presque pelucheux en surface. Miyuki a tôt fait d'en ouvrir les bords, dévoilant son contenu... Son visage ne peut contenir sa surprise qui ne durera que quelques secondes avant de reprendre son habituelle contenance. Face au silence qui tend à perdurer, Ichiro avance timidement:

***Alors... il ne te plait pas?

***Sous ses yeux, repose un kimono sans le moindre faux pli. La soie balance entre les tons d'un blanc crémeux et d'un noir intense. Le vêtement, plié, ne permet pas d'en voir l'ensemble, mais on devine les pêchers à l'aube du printemps dont les fleurs viennent courir sur les manches, chargés de fruits à la peau velours et au teint saumon. Les arbres sont juchés sur des montagnes brumeuses et enneigées où les pétales tombent comme des flocons sur un torrent gelé, pris dans la brume, entre les rochers, qui révèle soudain l'envol furtif d'un couple de hérons.

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10 octobre 2009

"La beauté des choses existe dans l'esprit de celui qui les contemple" David Humes

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PARTIE V

***Au dehors, les ténèbres déposent les armes, entraînant dans leur fuite les nuées d'étoiles qui auront brillé jusqu'au bout pour la possession des cieux. L'aurore savoure son triomphe, juché sur ce champ de bataille encore nimbé de rouge où disparaît une lune encore pâle et fatiguée.

***Les cheveux défaits, qui s'éparpillent en désordre sur l'oreiller, le bras droit posé négligemment sur son front, Miyuki se laisse aller aux rêveries sans fond qu'inspirent ces matins gonflés de promesses et pourtant sans lendemain. Le timide soleil peine à pénétrer à travers les stores ajourés et vient zébrer ici et là, éclairant inégalement son visage et son corps, pudiquement recouvert par un drap blanc. Son regard, absent, semble figé dans la contemplation d'un ailleurs invisible, au travers des shôji qui s'entrouvrent sur le balcon et par lesquels les premières lueurs du jour viennent mourir sur les tatamis. Ses yeux se nourrissent de cette lumière éphémère jusqu'à se perdre dans le silence de la ville qui dort encore, surprise dans un sommeil qui n'est tombé qu'après avoir festoyé jusqu'à l'aube.

***Assis sur le bord du lit, Ichiro a enfilé un yukata, qu'on ne sort d'ordinaire qu'en été. Amusé, il observe du coin de l'œil celle qui partage son lit. Miyuki est incroyablement belle, de ces beautés sauvages et farouches qui déguisent leur fragilité en un masque de glace aussi dur que froid. Il s'est doucement penché sur elle, ses doigts viennent frôler sa peau de nacre à partir du cou et descendent jusqu'à ses hanches, entraînant dans leur course la soie qui recouvrait tout. Son geste a pour effet de la sortir de sa torpeur. A cet instant, les mots affleurent dans sa bouche, mais il n'a le courage d'en prononcer aucuns.

***Alors... Tu as aimé? Dit-il simplement.

***Miyuki n'est qu'à moitié surprise par la question. C'est le genre de phrases puériles qui n'attendent qu'un seul type de réponses, ces phrases de circonstances qui ne servent qu'à souligner la légèreté et la superficialité de l'acte, tout en écartant une quelconque implication émotionnelle. Ainsi fonctionne Ichiro, par la conservation de ces stéréotypes qui déguisent les sentiments vrais. Et tant qu'à faire, autant entrer dans son jeu. De ses longues jambes, Miyuki rejette les draps qui recouvrent encore le restant de sa peau et se redresse sur la couche, tandis qu'elle revêt son kimono.

***Toi ou un autre... quelle différence?

***Ichiro s'est de nouveau figé, sans dire un mot. Miyuki sait être assassine, et ne l'est jamais à moitié lorsqu'il s'agit de briser les égos. Dubitatif, il la contemple enrouler son obi avec une certaine grâce autour de sa taille. Lorsque arrive l'instant délicat de confectionner le nœud qui fait la fierté de l'ensemble, il se rapproche et avec de savants mouvements, met en forme le tissu d'une façon précise et admirable. Miyuki s'est laissée faire, debout, droite, elle ressemble à une poupée de porcelaine que le moindre choc pourrait briser. Dans le profond silence qui s'est installé, on n'entend que le froissement de la soie qui, guidée par ses mains agiles, noue les derniers méandres sinueux de la composition. Lorsque le tissu se tait enfin, plus aucuns des deux ne bouge, l'un comme l'autre plongé dans l'expectative de ce qui ne viendra jamais. Le silence prend peu à peu des couleurs gênées que ni l'un ni l'autre ne semble être capable de briser.

10 octobre 2009

"J'ai toujours préféré la folie des passions à la sagesse de l'indifférence" Anatole France

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PARTIE IV

***On a frappé à la porte, d'un son presque inaudible. D'un geste brusque, Miyuki s'empare de la boîte et la glisse sous la couche. Déjà, on entre, et la porte se referme sans un bruit. Le cœur de Miyuki s'accélère, le nouveau venu ne bouge pas d'un pouce. Puis celui-ci fait un pas, dévoilant son visage sous les rayons de la lune qui filtrent à travers la fenêtre.

***Ah... C'est toi, Ichiro.

***L'obscurité a laissé place à un jeune homme à la beauté fascinante. Ses traits sont fins et ne semblent pas encore avoir atteint la trentaine, ses cheveux mi-longs sont aussi noirs que ses yeux, qu'il garde fixés sur elle, dans une expression de tendresse infinie. Ce regard, si doux, qu'elle sait aussi avide et féroce. Pas une seule fille n'avait jamais cherché à s'approprier ses faveurs. En vain. Il n'a d'yeux que pour elle, et le temps-même n'a pu l'en lassé. Elle l'avait aimé, de ces amours d'enfants qu'inspire la fascination. Une fascination troublante pour l'ambiguïté faite homme. Lui, n'aimait que son corps, qu'il connaissait par cœur à force d'exploration, nuit après nuit. Peut-être avait-il éprouvé jadis quelques tendresses, quelques affections pour cette toute jeune fille qu'il avait ramassé dans la rue et initié aux jeux et mystères de l'amour. Mais quelle part les sentiments jouent-ils dans ce jeu de séduction dont il est le maître? Quelles pensées sincères derrière ces paroles qui coulent comme le miel, quel véritable regard derrière le noir de ces prunelles qui expriment tout à la fois? Il est autant client que vendeur, son maître et son protecteur, celui qui a droit de vie et de mort sur elle, lui-seul dont le corps lui appartient tout entier, qu'importe l'heure, le moment, ou l'endroit.

***Etsuko, dit-il simplement.

***Miyuki s'est allongée sur la couche. D'un geste sec et fatigué, elle écarte les deux pans de son kimono, en même temps que ses jambes.

***Fais ce que tu as à faire, lâche-t-elle alors que son regard reste fixé au plafond. Après, vas-t-en.

***D'abord surpris, Ichiro esquisse un sourire. Puis, sans un mot, il s'accroupit près de la couche, lui prend la main, et la relève en douceur. Miyuki n'a esquissé aucun geste de réticence, quelque peu surprise par l'inhabituelle candeur de son compagnon. Sa main est toujours lovée au creux de la sienne, et il ne semble pas décidé à la lâcher.

***Miyuki... commence-t-il.

***Miyuki tressaille. Ichiro ne l'appelle jamais ainsi, si ce n'est dans l'intimité, lorsque ce qui suit n'a plus à voir avec le statut, mais la personne.

***Et si... poursuit-il. Et si pour une fois, on prenait le temps... de faire l'amour... comme il faut.

***Aussitôt, son trouble s'efface, et Miyuki retire prestement sa main avant de s'éloigner de quelques pas.

***Tu veux dire ajouter un peu de sentiments dans nos parties de jambes en l'air? Ironise-t-elle. Arrête de jouer, Ichiro, tu sais bien qu'il n'y a pas de place pour ça ici...

***Et déjà, elle lui tourne le dos, glisse une nouvelle cigarette entre ses lèvres et cherche de quoi l'allumer. Ichiro est resté un moment silencieux, après quoi il s'est de nouveau rapproché et pose ses mains sur ses épaules, collé à son dos. Miyuki ne dit rien. Avec des gestes lents, il lui ôte la cigarette de la bouche et la jette au sol. Puis il passe ses doigts sous son kimono qu'il fait doucement glisser de sa peau, dénudant tour à tour ses épaules et ses seins, alors que sa tête rencontre le haut de sa nuque. Le désir va grandissant, au rythme du obi qui se déroule, fuyant la taille avec une lenteur moqueuse. Tandis que le tissu finit de mourir le long de ses jambes, ses mains descendent sur ses bras jusqu'à croiser ses doigts avec les siens. Puis il remonte leurs paumes enlacées jusqu'à sa poitrine et ses lèvres effleurent la naissance de son cou. Miyuki frissonne et retient avec peine le soupir qui veut s'échapper de sa gorge.

***A nouveau, il l'entraîne sur la couche et l'attire entre ses bras. Ses mains ne sont plus que caresses, sa bouche couvre son corps de baisers brûlants. D'abord réticente, Miyuki ne résiste pas longtemps. Après tout, pourquoi pas? Pourquoi ne pas se laisser aimer, rien que pour une nuit, même si tout cela n'est que jeux et faux-semblants? Leurs lèvres se rencontrent. Déjà, elle fond, mais ne veut pas être en reste. Elle sent contre elle le témoin de son désir grandir plus encore. A son tour, elle s'applique à lui ôter sa chemise et les derniers remparts de sa nudité. Il sait l'impact de chaque pression, de chaque frôlement sur sa peau, connait les moindres zones sensibles de son corps. Son souffle dans son cou qui lui fait dresser l'échine et lui arrache de brusques inspirations, sa langue qui vient flatter le lobe de ses oreilles, ses doigts qui perlent au bout de ses seins. Miyuki s'abandonne, enserre de ses jambes le corps avide de son amant. Ce soir, la nuit muette veillera au rythme des cris de la passion...

10 octobre 2009

"Les rêves des femmes ne sont jamais des rêves d'exil, mais d'intimité" J.M.

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AUX LUEURS DE TOKYO

PARTIE III

***La fumée lui monte aux yeux et la fait pleurer, probablement. Elle ne reste pas longtemps dehors, inspire encore quelques bouffées avant de jeter le mégot par-dessus la balustrade, qui s'embrase à mesure qu'il tombe dans l'agitation de la rue. Elle entre, dans la minuscule pièce insalubre qui lui sert de chambre, et y jette un regard circulaire, sans émotion. Pause, sur sa vie, sur le monde. Son regard s'accroche au moindre détail, une habitude qu'elle a prise le premier jour où elle en a franchi la porte. Le mur du fond s'ouvre sur une grande armoire coulissante, aspiré par un vide flagrant que ne peuvent combler les quelques affaires éparpillées au travers des étagères. Au centre, la couche, défaite, isolée, crache ses draps toujours chauds dont les plis s'entrelacent au milieu de la moiteur des tatamis. La pièce est nue, et pourtant pleine de toutes ces présences éphémères qui s'y succèdent chaque jour avant de s'évaporer. Aucune extravagance, tout est simple, sobre, discret, tout semble englouti par ce gouffre d'humilité qui avale les moindres excès.

***En retrait du lit, on peut apercevoir une petite commode à deux tiroirs, dissimulée dans l'ombre. Miyuki s'est avancée dans la pièce et vient s'agenouiller devant le meuble avant d'ouvrir le premier. Ses mains parcourent la multitude de présents qui s'amoncellent jusqu'à manquer de déborder. De ces promesses d'amour que vous dicte l'ivresse jusqu'aux gages de fidélités, tout ce qui peut conduire un homme à dire ou à faire une fois le plaisir satisfait. Tous diffèrent, et pourtant, leurs odeurs se confondent, une odeur de rêve aux senteurs d'herbe et d'alcool qui se dissipe une fois le délire évaporé pour laisser place à la fuite et à l'oubli. Mais la commode garde les parfums, chacun raconte une histoire, une histoire qui ne dépasse jamais la nuit. Elle ne sait pourquoi elle les garde si ce n'est pour se rappeler la faiblesse de l'homme et de ses serments. Un jeu des sentiments où elle est toujours perdante, bien qu'elle ne soit jamais vraiment entrée dans la partie.

***Ses mains se sont refermées sur une longue boîte en fer qu'elle attire contre elle, sur le lit. Ses ongles raclent le couvercle, émaillent la scène qui y était peinte et dont on ne reconnaît presque plus rien. Elle laisse courir ses doigts un moment le long de la jointure avant de l'ouvrir. S'en échappe une liasse de billets, maintenue par un vieil élastique qui manque de craquer à tout moment. Sans hésiter, Miyuki saisit les quelques billets qu'elle a gardé dans son  obi, en prélève quelques uns, enroule l'élastique autour de son poignet, puis les ajoute à la liasse, avant de les sceller à nouveau. Elle répète ces gestes mécaniquement, un rituel qu'elle renouvelle plusieurs fois par jour.

***Puis elle referme le tiroir et s'assoit sur le lit, la boîte posée sur ses genoux. Ses yeux se mettent à briller un instant, trahissant une légère excitation. Bientôt, elle pourra dépasser les frontières de Shinjuku, aller au-delà de Tokyo-même et de l'archipel japonaise. Bientôt, elle pourra quitter ce monde furtif où l'on élude l'intrigue amoureuse au profit de l'acte, une sorte de franchise mauvaise où le corps se retrouve dénudé de toute âme. Miyuki ne fuit pas, tout du moins, elle se refuse à l'entendre de cette manière. C'est de l'air qu'il lui manque, de la paix, de la sérénité. Miyuki est fatiguée, fatiguée d'être sans cesse désabusée, engoncée, entravée dans sa frustration et son regret. Shinjuku n'est qu'une prison ternie par le vice, qui n'a rien d'autre à proposer que du sexe, de la violence, et des ragots. Un pâle sourire vient habiller sa bouche carmin.

10 octobre 2009

"Celui qui ne fait pas plaisir en arrivant fait plaisir en partant" Le Goff

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AUX LUEURS DE TOKYO

PARTIE II


***Il y a quelques heures encore, elle était sur la couche et dénouait machinalement le obi qui épousait sa taille. Il n'avait pas attendu qu'elle ait fini, l'avait plaqué au sol, et retroussé le tissu jusqu'en haut des cuisses. Elle n'avait pas crié, c'était une réaction banale qu'elle subissait au quotidien. A croire que l'empressement palliait la frustration accumulée dans le lit conjugal. Il y a longtemps qu'elle ne les regardait plus, ces amants d'un soir, venus chercher dans le plaisir, un substitut à l'amour. L'anonymat lui facilitait la tâche, l'aidait peut-être, à se démarquer de la chose.

***Il avait aventuré sa main dans son col, tandis que l'autre fouillait son intimité. Miyuki frissonna, de dégoût, sans doute. Allongé de tout son poids sur elle, il l'étouffait. Avec maladresse, il écarta les deux pans de son kimono, dévoilant la blancheur de sa poitrine. Miyuki sentit son regard peser sur elle. Lentement, méticuleusement, il embrassa ses seins, en caressa chaque parcelle avant de descendre jusqu'aux hanches. Ses mains grasses la touchaient de partout, sa bouche, avide, lui suçait les tétons. Miyuki ferma les yeux et détourna la tête, projetant son esprit à mille lieues d'ici. Il s'allongea un peu plus sur elle. Elle pouvait sentir son souffle chaud parcourir sa nuque dont elle respirait les vapeurs d'alcool avec difficulté. Face aux nausées qui lui saisissaient la gorge, elle réprima son envie de vomir.

***La seconde main avait quitté son entrejambe et tentait à présent, tant bien que mal, de déboutonner son pantalon. Puis il la prit de manière assez brutale et entama un lent vas et vient. Elle se mit à pousser des gémissements d'intonations et d'intensités variables afin de ne pas s'emmurer dans le cri monotone. Lorsque entre deux respirations, il lui demanda de l'appeler Papa, elle s'exécuta, sans broncher. Excité par ces fantasmes inassouvis qui prenaient forme dans l'obscurité de la chambre, il lui prit le chignon et lui tira les cheveux. Ne pas crier, surtout ne pas crier, se disait Miyuki qui se mordait la lèvre et sentait l'afflux de sang s'amalgamer sous la pression de ses dents. Déjà, de sa main libre, il lui enfonçait deux doigts dans la bouche qu'elle s'appliqua à sucer. Isolé dans sa satisfaction personnelle, ses coups de reins se firent plus durs, plus cadencés. Il jouit bientôt en elle.

***La pièce sentait la sueur en suspend, aussi Miyuki ouvrit-elle la porte-fenêtre avant de s'éloigner sur le balcon, sans plus aucun regard pour l'intérieur. Il était resté dans la chambre et ajustait ses vêtements que l'effort de son formidable exploit avait mis en désordre. Puis il la rejoignit dehors, l'embrassa dans le cou, sans susciter une quelconque réaction de sa part, avant de coincer quelques billets dans sa ceinture qu'elle ne prit pas la peine de compter. Alors qu'il s'apprêtait à partir, elle le retint par le bras et glissa une cigarette entre ses lèvres qu'il s'empressa d'allumer à l'aide d'un briquet en argent, tiré de sa poche. Puis il disparut. Restée seule, sans un mot, sans une parole, Miyuki réarrangea son kimono.

10 octobre 2009

"Dans cet univers plein de bruit et de fureur, c'est le bruit des uns qui provoque la fureur des autres" Antoine Blondin

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PARTIE I


***Tokyo, une froide nuit de Novembre. Comme chaque soir, Shinjuku s'anime à mesure que le jour s'éteint. Dans les rues, les bars, sur les trottoirs, les libertins anonymes arpentent ce haut-siège de débauche qui prend des airs de Carnaval lorsqu'il côtoie la pénombre. Dans un bordel du quartier qu'on appelle plus sagement "maison close", Miyuki, accoudée à la balustrade en fer de son balcon, tire d'épaisses volutes de fumées de la cigarette qu'elle tient entre ses lèvres. Son chignon, à demi-défait, laisse tomber par endroits une cascade de cheveux noirs de jais qui viennent coller à son visage, sous l'effet de la sueur qui suinte partout jusque dans son cou. Morose, elle contemple les milliers de néons alentours qui habillent de leurs couleurs criardes tous les murs de la ville. Une beauté hideuse, pense-t-elle, chaude en apparence, froide à l'intérieur, comme toutes celles qui habitent Shinjuku, qui vous aguichent et vous agressent les yeux jusqu'à vous faire oublier le charme d'une nuit sans fond, où trônent un semblant de lune et quelques étoiles. Non, ici, tout est masqué par le bruit, c'est à celle qui criera le plus fort et fera trembler les murs. Ici, même l'air frais qui s'engouffre dans les ruelles ressort lourd et nauséeux.

***Son kimono, retenu par un obi de soie rouge, à moitié dénoué, découvre sans pudeur ses seins et son ventre frêle, sa peau hérissée qui tressaille à chaque appel du vent. D'un mouvement las et sans entrain, elle en remonte un pan sur son épaule nue qu'elle maintient avec sa main. La soie, froissée, arbore les cerisiers en fleurs, dont la blancheur rosit à la moindre caresse, jetés sur un fond d'encre noire. Il a l'odeur de l'homme, qui en plein effort a marqué son territoire, une odeur vague, non moins prononcée, de tous ceux qui ont partagé sa couche. Une odeur à laquelle vient se mêler celle de sa peau, un parfum capiteux qu'elle a en horreur.

***A nouveau, ses lèvres viennent imprimer de rouge le filtre de sa cigarette dont elle inspire la substance avec nonchalance, tandis que ses doigts caressent d'un air absent quelques billets qui dépassent de sa ceinture. Miyuki ou le silence des neiges profondes. Son nom l'a toujours fait sourire, de ces sourires fades, sérieux, désabusé. N'y avait-il pas là, la plus grande ironie, une énorme farce orchestrée par un comique du plus mauvais goût? Que penseraient ceux qui l'avaient appelé ainsi, s'ils savaient qu'elle criait chaque nuit un peu plus fort. Ici, tout le monde l'appelle Etsuko, l'enfant du plaisir.

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