"Un chagrin d'Amour scelle les mots au bord des lèvres, [...] nous empêchant de les communiquer aux autres" Eve Beliste
LA TOURMENTE BLANCHE
PARTIE III
***Affligé par la désapprobation du Plus Haut, Gabriel ne sait plus vers qui se tourner. Quoi de plus terrible que de ne pas être soutenu par son père dans ses aspirations? Désemparé, il erre en aveugle, happé par un vide qui ne cesse de grossir, en proie aux sentiments les plus noirs et les plus tristes. Déchiré entre deux institutions qui ne pourront jamais marcher main dans la main, il tend, il balance de l'une à l'autre, sans pouvoir pour autant se résigner à faire un choix. Doit-il rester fidèle à son amour ou à ses obligations ? Ses pensées s'assombrissent, tandis qu'il emboîte le pas à une solitude des plus sombres.
***Les lois célestes sont implacables: un ange doit se faire plus petit, plus léger, plus inaudible qu'un souffle, qu'un murmure, qu'un soupir. Toute volonté de se révéler à son protégé est prohibée. Le gardien doit passer inaperçu, invisible parmi les mortels. Aucune sensibilité n'est permise, tout sentiment doit tomber dans l'oubli. Si des liens se créent, ils doivent irrémédiablement être brisés.
***Hélas, Gabriel ne peut se résoudre à mettre fin à une émotion si douce. Ce serait comme perdre une partie de lui-même. Pourtant, une seconde fois il tente de refouler ses sentiments… sans succès. L'ange finit par se laisser dominer sans efforts. Comment résister à ce que l'on souhaite si ardemment?
***Néanmoins si les cieux sont incapables d'interdire aux anges d'aimer, tout être de lumière se plie à la première règle: quiconque se révèle à sa protégée lui offre sa perte assurée. L'assistance divine lui est reprise. Si l'ange faute, il précipite l'innocente dans les bras de la Mort. Cette seule perspective fait fléchir tous les hasardeux. Telle est l'impitoyable loi du Ciel.
***Or, lorsque l'ange prend conscience de la triste réalité, il est trop tard: l'amour a déjà pénétré tout son être et est ancré si profondément en lui qu'il est impossible de le déloger. Quant bien même on le chasse, il repart à l'assaut. Pour la première fois, Gabriel entrevoit le début de son calvaire. Peu à peu, il découvre l'autre visage de la passion, cruel et noir, et goûte à l'amertume de la déception. Gabriel comprend qu'il aime en toute perte. A quoi sert son amour s'il ne peut être partagé? Lentement, il sombre dans un univers lugubre et hostile dans lequel on lui fait miroiter un bonheur auquel il ne peut aspirer. Et lorsqu'une étreinte nouvelle se resserre sur sa gorge, il suffoque, il sait qu'il est perdu. Cet étau, c'est le désespoir.